Le Mémento de l’Ecclésiaste

Chapitre débuté par L'Ecclésiaste

Chapitre concerne : L'Ecclésiaste ,

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(voix basse, posée, comme un souffle qui remonte du fond des années)

J’ai porté tant de noms que parfois je me perds moi-même.

Je commencerai à partir de Sinapise Jonas,
l’ombre d’un garçon qui croyait encore qu’on pouvait tenir debout sans vaciller.
Je me revois, tremblant, dans la grange brûlée où tout a commencé,
à attendre que quelqu’un me dise quoi faire — et personne n’est venu.
C’est peut-être là que j’ai compris qu’on ne survit pas : on apprend à tomber autrement.
Puis j’ai été Sinapise Jack,
celui qui cherchait sa sœur — Naïs,
la lumière fragile qu’il n’a jamais cessé d’appeler dans le noir.
Je revois son sourire – celui que je garde comme un talisman.
Je revois aussi les nuits à marcher seul,
à murmurer son prénom pour ne pas laisser le monde l’effacer.
Et puis le monde a changé…
et j’ai compris que les noms ne sont que des peaux qu’on abandonne pour continuer à marcher.
C’est là que l’Ecclésiaste est né.

Non pas un homme… plutôt un passage,
une voix entre deux ruines,
un souffle entre deux époques.

Sur la route, j’ai croisé des visages qui m’ont tenu en vie plus que l’air lui-même.

Jaman Saon.
Mon premier soutien.
Je revois le matin où elle m’a hissé sur mes jambes,
après que j’ai chuté dans la poussière comme un arbre mort.
Elle ne m’a pas demandé si j’allais bien,
Elle m’a juste dit : « Avance. »
Et pour la première fois, j’ai avancé avec quelqu’un.

Cary… Caryelle.
Je me souviens du froid dans ses doigts quand elle a glissé sa main dans la mienne.
Elle n’a rien demandé — juste ce contact.
Elle m’a appris qu’on peut encore retenir quelqu’un
sans le posséder,
sans le briser.

Emma Peel.
La vigie dans la tempête.
Je me souviens de la nuit où elle m’a ouvert sa porte,
alors que la pluie tombait comme des clous.
Elle avait ce regard… celui de ceux qui ont déjà fait leurs adieux,
mais qui continuent pourtant à donner de l’eau,
comme on tend un pardon à un inconnu.
Sa solitude résonne encore en moi.

Giulia Ricci.
Le feu dans la poussière.
Je revois l’éclat de ses yeux quand elle riait,
rare, franc, presque déplacé dans les ruines.
Elle m’a rappelé que la tendresse peut être une arme,
et qu’on n’est jamais aussi vivant que lorsqu’on la partage.


Rosemary.
La clownette.
Le rire peint, les larmes jamais tout à fait sèches.
Je me souviens d’elle au milieu d’un terrain éventré,
les bottes dans la boue, un nez rouge pendu à son cou comme un vestige d’un monde disparu.
Elle riait — pas pour elle, non —
mais pour empêcher les autres de sombrer.
Elle cachait la peur derrière la couleur,
la fatigue derrière une pirouette,
et sa douleur derrière une blague trop courte.
Elle m’a appris que le courage, parfois,
c’est juste de sourire quand personne ne le mérite vraiment.
Et je crois qu’elle portait, plus que tout le reste,
une lumière que même le Fract n’a pas réussi à effacer.


Segolène.
La femme aux gestes lents.
Je me souviens d’elle assise près du feu,
laissant la chaleur lécher ses mains comme si elle priait un dieu disparu.
Elle parlait peu… mais juste.
Sa peine était une langue que j’ai apprise malgré moi.

Lani.
L’éclat d’un rire dans un monde sans soleil.
Elle a traversé ma vie comme une comète,
illuminant juste assez pour qu’on puisse marcher deux jours de plus.
Elle avait le don de transformer la peur en jeu.
Je ne l’ai jamais oublié.

Kao-T.
Le silence qui tranche.
Je revois ses yeux — toujours en alerte,
toujours à un battement de cœur de la violence ou du miracle.
Elle m’a appris qu’on peut protéger sans dire un mot,
qu’on peut aimer sans tendre la main.

Britney.
Instable, imprévisible,
mais la seule à avoir veillé sur moi toute une nuit alors que j’étais fiévreux.
Sa loyauté ne ressemblait pas à une promesse,
mais à une impulsion —
et pourtant elle valait plus que bien des serments, qu'une cuisine exquise.

Anita
Celle que j’ai aimée aussi.
Un amour cabossé,
des disputes dans la poussière,
des réconciliations dans le souffle court de la survie.
Je revois son regard quand tout s’est brisé…
Un regard que je porte encore comme une blessure qui bat lentement.

Anna.
La perdue-fiable.
Je me souviens de son rire nerveux quand elle ne comprenait plus rien,
puis de sa détermination brutale quand il fallait protéger quelqu’un.
Elle avançait comme on se jette dans une vague.
Elle m’a appris le courage du désordre.

Kevin Whitecliff.
Le soldat aux idées serrées.
Je revois ses yeux, méfiants au premier abord,
puis ce moment où il m’a confié sa gourde en silence,
un soir où j’avais tout perdu.
La justice n’est pas toujours une vertu douce —
chez lui, elle avait la forme d’un rocher.

Lars Rasmussen.
Le stratège,
l’homme qui voit deux batailles plus loin que tout le monde.
Il m’a accueilli comme un frère alors que rien, absolument rien, ne l’y obligeait.
Je me souviens du poids de sa main sur mon épaule,
dans un de ces moments où on ne tient plus debout que grâce à un autre.

Et puis…

Il y a Korowai.
La brebis.
La faille dans ma cuirasse.
Je me souviens du premier instant :
sa façon de me regarder comme si j’avais encore un avenir,
comme si mon nom avait un sens.
Elle a fissuré ma solitude,
retourné mes certitudes,
et réveillé un cœur que je croyais fossilisé.
Son pas vers moi reste l’un de mes plus grands miracles.

Toutes ces rencontres…
ce ne sont pas des visages, ce sont des repères.
Les tessons d’un miroir qui me renvoient l’homme que je deviens.
Je ne sais pas combien de temps il me reste.
Je sais juste que si je dois disparaître,
alors qu’on se souvienne de ceci :
Je n’ai jamais marché seul.
Chaque nom que j’ai porté,
chaque nom que j’ai prononcé,
m’a sauvé d’une manière ou d’une autre.

Je suis l’Ecclésiaste… car j'ai observé ce monde
mais je suis fait d’eux.
Et tant qu’il me restera un souffle,
je les porterai avec moi —
comme on porte l’aube dans une poche trouée.

Et présentement l’encre me manque, non l’oubli.
Le temps diminue et m’asservit, aussi.