Chapitre débuté par L'Ecclésiaste
Chapitre concerne : L'Exode, L'Ecclésiaste ,
Lune après lune,
je me suis demandé ce que devient un être
lorsqu’il cesse de croire que le monde lui appartient.
Peut-être n’est-il plus qu’un passant,
un témoin muet du long balancement des choses.
Car j’ai vu les âges se succéder
comme on voit les vagues se lever puis retomber,
toujours semblables, jamais les mêmes.
Les hommes façonnent des royaumes,
puis les oublient.
Les femmes élèvent des voix,
puis le vent les emporte.
Et pourtant,
au-dessus de tout cela,
persiste une lente respiration
que personne ne remarque.
Je me suis tenu au bord des jours
comme au bord d’un fleuve qui s’efface.
Chaque matin m’a offert le même spectacle :
la lumière revenant sur les ruines,
sur les traces de pas qu’on ne suit plus,
sur les pierres qui patientent
depuis bien plus d’années que moi.
J’ai interrogé le temps,
mais il m’a répondu en silence.
Alors j’ai appris à écouter ce que disent les choses
qu’on croit muettes :
un souffle entre deux branches,
la poussière qui danse,
la lenteur d’une ombre au crépuscule.
C’est là que je comprends
que tout ce qui pèse finit par s’alléger,
que tout ce qui brille finit par s’éteindre,
et que rien n’est assez solide
pour survivre au passage des saisons.
Et pourtant,
au cœur de cette impermanence,
je trouve un apaisement :
celui de marcher sans certitude,
de vivre sans promesse,
d’aimer ce qui passe
parce que cela passe.
Les lunes passées me l’ont appris :
la nostalgie n’est pas un regret,
mais un pont.
Un chemin entre ce qui a été
et ce qui demeure en nous, doucement.
Ce n’est pas le poids du passé
qui nous accompagne,
mais la forme qu’il laisse dans notre souffle.
Ainsi, j’avance encore,
conscient que chaque pas pourrait être le dernier,
mais ne craignant plus cette idée.
Car si tout s’efface,
alors tout est précieux,
de la plus haute montagne
aux paroles échangées dans la pénombre.
Et quand la prochaine lune se lèvera,
que je sois là pour la voir
ou que je sois déjà retourné à la poussière,
elle continuera sa ronde —
paisible, indifférente, fidèle.
Et ce sera bien.