La chance sourit.

Chapitre débuté par Karma Bona

Chapitre concerne : Karma Bona,

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Il était une fois une fille. Une fille qui n'avait rien demandé, ni de l'être, ni de naître. Mais la voila, celle-là. Et comme l'univers aimait rire d'autrui, ses parents en avaient fait, bien involontairement, un outil du destin. Allez savoir. Il parait qu'elle portait chance ? Ce n'était pas faute d'essayer. Elle avait du grandir avec ce fardeau bien trop gros pour être vrai, bien trop beau pour être aisé. Cela avait commencé quand, à six ans, les dés crachaient hardiment son âge à la face de ses compagnons de jeu. C'est tôt, toujours trop tôt, d'apprendre que l'injustice se cache parfois derrière la jalousie, la peur et l'hypocrisie. Quelques torgnoles plus tard, on sait qu'on ne jouera plus aux dés. Tricheuse... Et si c'était la vie, la resquilleuse ?

Elle avait grandi, muri, dansé et vécu, comme une ordinaire, loin des casinos, des jeux de tarots et autres options salutaires pour ceux qui ont la veine. Elle n'y croyait pas, ni pensait plus. C'était simple, il suffisait de travailler. Alors, derrière l'effort, s'effaçait la main des dieux. Aux yeux des autres, aux siens, qu'elle avait souvent perdu dans le néant; elle savait bien, au fond du gobelet, que les jetons concevaient sa chute, mais que ce n'était pas demain la veille qu'elle tomberait dans le panneau. Une vie sans panache lui suffisait; elle avait retenu la leçon de ses six printemps, qu'une petite cicatrice, ho, trois fois rien, se mettait à la démanger, quand elle s'égarait.

Bien sur, elle ne la forçait jamais, sa chance. Elle préférait l'offrir aux autres. C'était plus discret, plus juste aussi. Elle savait bien qu'un geste, un mot, un sourire, pouvait changer le cours d'une vie. Alors elle essayait, ho mon dieu, qu'elle essayait, de faire le bien de ceux qui la fréquentait. Elle était populaire, sans être une gloire; elle était discrète, sans être effacée. Elle avait l'humour de ceux qui ont eu mille vies, et l'innocence de ceux qui commence leur première. Le collège, le lycée, l'université, le monde du travail, qui malgré la crise lui avait subitement ouvert ses portes ferronnées et verrouillées. Oui, ce jour-là, elle avait peut-être un peu pensé à elle...

Elle le méritait, dirent-ils, mais elle savait, elle, l'imposteur, la petite menteuse. Elle n'en avait pas de regret, malicieuse et joueuse, à se dire qu'une fois n'est pas coutume, non, juste cette fois là, pour se lancer et écrire sa vie, simplement et lentement, avec la paresse d'un koala et la nonchalance d'un matou depuis trop longtemps apprivoisé. Et puis, et puis, et puis quoi encore ? La vie, l'amour, les rencontres improbables, ébauches d'histoires avortées, car elle savait bien que cela ne venait pas d'elle, tout cela, mais de cette satanée chance qui lui offrait une compagnie idéale sur un plateau...

Elle réfléchissait à tout cela, dans le métro. Comme toujours, absorbée par la paroi d'en face, aux graffitis à demi effacés; elle ne voyait que le destin et se demandait comment lui casser les reins. Être libre, bon sang, être digne, voyons ! Briser ses chaînes, et arrêter de se sentir responsable du malheur des autres. Elle ne comptait pas être la première béatifiée de la famille, ni réaliser des miracles. Survivre au milieu des ombrageux, s'accrocher à du concret, abattre la tyrannie du hasard. Vivre. C'était toujours mieux que rien, non ?


Cela faisait des heures que la sirène hurlait son entranglement strident. Karma ouvrit les yeux difficilement; elle n'avait pas bougé, assise sur son siège inconfortable. Un peu de poussière dans les cheveux, à peine une égratinure. Les BAES avaient plongé la rame dans une torpeur emeraude qui offrait à tous une mauvaise mine. Tout était allé si vite... L'alerte, la coupure générale, le gaz... Ou était-ce simplement la fatigue ? Elle avait fait un somme durant la fin du monde. Et autour d'elle, d'autres avaient survécu.

Elle souriait.